La laïcité n’interdit pas la pratique de la méditation à l’école publique
Connaissant mon intérêt pour le sujet de la spiritualité, un collègue formateur du dispositif « Valeurs de la République et laïcité » a récemment attiré mon attention sur un communiqué de presse de la Ligue des Droits de l’Homme ayant trait au rapport entre méditation et laïcité. Le titre de ce communiqué est le suivant : « En entrant dans l’école, la méditation de pleine conscience vient tacler de plein fouet la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, socle de la laïcité. »
La méditation perçue comme un loup entré dans la bergerie
La lecture de ce titre nous a interpellé car nous avons suivi en 2019 une formation au programme P.E.A.C.E. (Présence, Ecoute, Attention, Concentration dans l’Enseignement) en milieu scolaire et éducatif afin de participer au développement de la méditation en milieu scolaire. Je me suis vite retrouvé dans les objectifs généraux de ce programme : développer l’attention, la bienveillance, le bien-être, l’apprentissage et la citoyenneté. Le document de présentation remis précisait alors que « l’éthique attaché à ce programme est de respecter et d’encourager les applications laïques de la méditation, dans le respect de la foi, des croyances et origines socio-culturelles de chacun au sein des établissements scolaires, de la maternelle à l’enseignement supérieur ».
Ayant pratiqué d’autres types de méditation avant la réalisation de ce stage de quatre jours, je n’ai eu, à l’issue de ce stage, aucune difficulté déontologique à envisager un accompagnement en milieu scolaire, qu’il soit public ou privé. Je n’ai à ce jour hélas pas encore eu l’occasion de participer en pratique à ce type d’action. Cela étant, je n’ai jamais rompu le lien avec la philosophie de cette approche.
Méditation et milieu scolaire public
Si le milieu scolaire en question est public, il n’y a de mon point de vue a priori pas de raison qui expliquerait que ce type de pratique méditative vienne « tacler de plein fouet la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, socle de la laïcité ».
En effet, la laïcité suppose d’envisager une société plurielle et sépare les cultes de l’Etat aux fins de traitement égal des citoyens. Comme la définit Philippe Gaudin, directeur de l’Institut Européen en Sciences des Religions, c’est « la protection et l’encadrement de la liberté de conscience dans le cadre de la loi d’un Etat non confessionnel ».
En milieu scolaire public, une contrainte sur les élèves a été envisagée dans la première moitié des années 2000 afin de préserver les élèves des éventuelles pressions du religieux à un moment crucial de formation des esprits (loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics). Cette contrainte consiste en l’interdiction du port de signes ou de tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. Elle ne porte pas uniquement sur le signe ou la tenue mais également sur l’attitude de l’élève qui peut se révéler problématique si cette dernière est prosélyte. Elle ne consiste pas en l’interdiction de tout signe religieux (une circulaire viendra deux mois plus tard préciser ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas).
Cela soulève une seconde question : les professeurs pratiquant ce type de méditation sur le temps scolaire remettent-ils en question la stricte neutralité à laquelle ils sont soumis ?
Non, à plusieurs titres :
- la méditation n’est pas une religion et n’impose pas le port d’un quelconque signe d’appartenance ;
- même si elle est d’inspiration bouddhiste, telle qu’elle est aujourd’hui pratiquée en France et dans le monde, la pratique de la méditation ne constitue pas une marque d’adhésion à une religion ;
- la pratique de la méditation ne constitue pas non plus une critique à l’égard d’une croyance particulière.
Ces règles sont connues des professeurs. Elles sont très certainement respectées de toutes et tous, et en particulier de celles et ceux engagés dans ce type d’action.
La laïcité n’a donc pas à voir en droit avec la pratique de la méditation à partir du moment où cette pratique ne constitue pas une pratique religieuse. Elle ne constitue pas en soi un culte mais relève davantage d’une posture et d’un état d’esprit en dehors de tout dogme religieux. Elle peut même être considérée comme une pratique d’ordre spirituel – ce que nous pensons – sans que cela contrevienne au respect du principe de laïcité.
La question relative à la pratique de la méditation en milieu scolaire appartient, nous semble-t-il, à un ensemble plus large de questions qui ont trait à la place de la spiritualité en milieu scolaire. Vaste sujet… désormais sujet établi de recherches, notamment universitaires (voir notamment à ce propos l’un des derniers cahiers du CERFEE consacrée à la thématique Education(s) et Spiritualité(s), ou encore l’ouvrage Education et spiritualité sous la direction de Philippe FILLIOT et Jean LECANU, issu d’un groupe de réflexion de l’association Démocratie & Spiritualité).
La méditation de pleine conscience : ni sectaire, ni laïque
La lecture du communiqué de presse témoigne du fait que la Ligue des droits de l’homme a tendance à assimiler la méditation de pleine conscience à une dérive sectaire dont il faudrait urgemment protéger les enfants et adolescents des écoles, collèges et lycées publics au nom de la laïcité.
Pour les parents des enfants scolarisés à l’école publique et ignorant ce qu’est la méditation, il y aurait matière à s’inquiéter sévèrement ! Même si, paradoxalement, les effets positifs de cette pratique sont reconnus (mentionnés comme « très modérés » quand il existent, mais au moins ont-ils le mérite d’exister !), l’accent est en effet manifestement mis sur des aspects négatifs (manquant cruellement de références et restant à prouver) : « dépersonnalisation », « attaques de panique », « épisodes psychiatriques », « conditionnement », « perte d’esprit critique », « assujettissement », « états de sujétion », « apparue de façon rampante », « pratiquée de façon sauvage », « culte global […] pénétr[ant] tous les secteurs d’activité des démocraties occidentales , avec mansuétude », « la réalité est beaucoup plus sombre », « pratique problématique directement liée à des spiritualités et des croyances ».
La Ligue des droits de l’homme pointe par ailleurs du doigt que ce type de méditation est qualifiée de laïque par ses promoteurs, ce qui serait un gage de légitimité pour agir dans le milieu scolaire public. Qualifier ainsi une telle pratique nous fait sortir du sentier proprement juridique et a tendance à brouiller quelque peu les pistes : la méditation est dite laïque comme de nombreuses associations en France se considèrent comme laïques. Laïque au double sens 1/d’un respect du principe constitutionnel de laïcité (auquel tout un chacun est soumis, qu’il soit d’accord ou non avec) et 2/d’une action non confessionnelle, trans-partisane et non prosélyte. C’est très certainement ce qui explique que de nombreuses associations, à l’instar de l’Association Méditation dans l’Enseignement, revendiquent la laïcité comme une valeur qui leur est chère.
Il reste que considérer la laïcité comme une valeur la place de fait dans le monde des diverses conceptions philosophiques, ce qui ne correspond pas nécessairement à sa définition proprement légale. C’est la raison pour laquelle il nous semble préférable de ne pas qualifier la méditation de laïque. Il serait à nos yeux plus juste de dire en quoi la méditation est envisageable dans le milieu scolaire public où le principe de laïcité est à l’œuvre.
Il est également important de dire en quoi ce type de pratique peut être positif à tout un chacun. La Ligue des droits de l’homme noircit de manière éhontée le tableau dans l’optique d’interdire une pratique de méditation au nom d’une conception erronée de la laïcité. Disqualifier des pratiques ayant toutes les chances d’être positives à plusieurs titres en les plaçant du côté des dérives sectaires n’est pas acceptable lorsque vous avez connaissance des processus d’embrigadement utilisés. La méditation de pleine conscience ou de pleine présence n’a aucunement pour objet une emprise sur les esprits. En développant « l’attention, la bienveillance, le bien-être, l’apprentissage et la citoyenneté », elle vise davantage une ouverture des esprits sur le monde, dans une optique de paix. Vous pouvez écouter à ce propos Hélène HAGEGE, professeure en sciences de l’éducation à l’université de Limoges, qui résume ici bien les choses.
Associant des chercheurs de différents horizons scientifiques, construite avec rigueur et enthousiasmante à la lecture des objectifs assignés, l’expérimentation souhaitée d’initiation à la méditation de pleine conscience dans les écoles publiques soutenue par le député Gaël LE BOHEC nous semble constituer une action positive car, dans les cas les moins favorables, elle permettrait à des élèves de développer une attitude bienveillante et ouverte dont notre République a et aura cruellement besoin.