L’humour, une tournure d’esprit. Un exemple concret en EHPAD.
Le 5 juin dernier, j’avais rendez-vous avec le directeur de l’EHPAD associatif m’ayant accueilli pour réaliser le travail de mémoire dans le cadre du diplôme universitaire République et Religions. Travail intitulé « Pratiques religieuses et spiritualité en maison de retraite – Situation concrète en France », et rendez-vous sous la forme d’un déjeuner de courtoisie et de travail.
Je n’avais pas remis les pieds dans cet établissement depuis plus de deux ans. J’ai pu constater l’édification d’un bâtiment flambant neuf pour y accueillir dans les tous prochains mois les résidents, mais aussi me rendre compte que l’accueil y est très règlementé en raison de la maladie Covid-19 : prise de température à l’entrée, nettoyage des mains avec du gel hydroalcoolique (et non « hydraulique » comme j’ai pu l’entendre sur la plage de Quiberville fin mai !) et port obligatoire d’un masque chirurgical. C’est ainsi, et c’est sans doute nécessaire en termes de bonnes pratiques pour éviter les risques de transmission, dont les conséquences s’envisagent davantage qu’ailleurs en chaîne et de manière mortelle.
Me voici donc fin prêt pour aller déjeuner avec le directeur de l’établissement. Nous arrivons dans la salle à manger en prenant soin d’emprunter un chemin extérieur pour éviter de croiser des résidents. Nous nous installons au fond de la salle, à deux pas de la porte empruntée pour y accéder. Le directeur me dit d’attendre là ; c’est lui qui me ramènera le plateau-repas. En attendant, j’observe qui est présent dans la salle à manger et ce qui s’y passe. Je vois notamment au loin une résidente avec qui je m’étais entretenu dans le cadre de mon travail de mémoire. Elle est assise exactement à la même place qu’il y a deux ans, comme si elle n’avait pas bougé ! C’est Madame HENRI (ce n’est pas son vrai nom). Je me souviens très bien d’elle. Une dame toute menue, avec un rire jovial, un peu moqueur mais sans méchanceté, qui ne se prend pas au sérieux. Je lui fais un grand signe de la main en guise de salut. Elle m’a vu, me répond sur le champ en me faisant également un signe. Cela m’étonnerait qu’elle m’ait reconnu (le fait d’être masqué n’aide pas !) mais cela ne l’empêche pas de m’adresser la parole en me disant à voix haute : « Alors, ça va ? … Alors, qu’est-ce qu’on va faire cet après-midi ? On va aller voir les filles ? ». Ces propos sont suivis d’un rire jovial et guilleret. Ils ne me surprennent pas, et je reconnais bien là Mme HENRI. C’est elle qui m’avait notamment dit lors des entretiens conduits il y a deux ans, à propos de la question de la mort : « Vous savez, on sait tous qu’on va claquer ici ! », en me regardant avec un grand sourire.
Lors du déjeuner, j’évoque avec le directeur ce bref échange, ce à quoi il me rétorque :
- « Vous savez ce qu’elle me dit quand je tape à la porte de sa chambre ? »
- « Oui, vous pouvez entrer monsieur le directeur, mon mari n’est pas là ! »
Certains pourront y voir des propos déplacés. Ce n’est pas mon cas. J’y vois plutôt un autre trait d’humour faisant comme si, mine de rien, il y avait davantage d’oxygène dans l’air que nous respirons. Et davantage d’oxygène dans ce type d’établissement, souvent dépeint dans notre République médiatique comme des lieux morbides et sans esprit.
Et si au passage cela voulait dire quelque chose du point de vue sexuel, en quoi serait-ce problématique ? En pratique, ça l’est car la sexualité reste souvent taboue dans ce type d’établissement alors même que sexe et grand âge peuvent tout à fait faire bon ménage (il existe d’ailleurs en France une stratégie nationale de santé sexuelle pour la période 2017-2030, dont l’un des objectifs est de promouvoir une vision positive de la sexualité des personnes en situation de handicap et des personnes âgées)
Quoi qu’il en soit, Mme HENRI est joviale et le fait qu’elle soit résidente de cet établissement depuis plusieurs années n’a manifestement pas altéré son humour. Elle aura bientôt 101 ans.