La connaissance de soi et la formation au cœur des enseignements du rapport sur la laïcité dans la justice
Début mars 2020, ont été mis en ligne les résultats d’une enquête sur la laïcité dans la justice. C’est le fruit d’un travail conduit durant près de deux ans et demi par l’équipe de Droit Public de Lyon (université Jean Monnet, Lyon 3) dirigée par Mathilde Philip-Gay.
Une synthèse (accessible ici) ainsi que le rapport de recherche (accessible ici) sont mis à la disposition de qui veut bien en prendre connaissance. Nous vous incitons à le faire !
A noter : le rapport de recherche propose notamment une rubrique « L’essentiel pratique » ayant pour but de répondre de la manière la plus accessible possible aux questions d’ordre juridique soulevées, et de favoriser une lecture des plus aisées.
Nous évoquons ici à grands traits les principaux résultats et pistes de réflexion de ce travail remarquable, en espérant vous donner envie d’en effectuer une lecture approfondie.
Des résultats confirmant les tendances de fond à l’œuvre dans notre société
Les objectifs fixés étaient de connaître les problèmes juridiques se posant aux acteurs de la justice quand ils appliquent le principe de laïcité, de réfléchir sur ces problématiques et d’apporter des réponses aux questions juridiques soulevées.
Reposant pour l’essentiel sur l’analyse de plus de 500 questionnaires remplis par des acteurs de la justice (magistrats, auditeurs de justice, policiers, avocats, conseilleurs prud-hommes, agents de la protection judiciaire de la jeunesse), les résultats de cette recherche se révèlent somme toute assez habituels pour qui connaît le sujet dans d’autres milieux professionnels, notamment le milieu du service public, en France comme à l’étranger :
- les acteurs de la justice sont amenés à prendre en compte le fait religieux dans le cadre des fonctions exercées. Les controverses portent sur le respect du devoir d’impartialité et le droit applicable mais également sur la visibilité des cultes (port de signes religieux, affichage de signes ou de symboles d’ordre religieux) ;
- même si a priori les acteurs de la justice ne déclarent pas de problèmes particuliers dans l’application du principe de laïcité et/ou la gestion du fait religieux, les réponses données témoignent du contraire. Le degré d’incertitude et le nombre d’erreurs sur la notion juridique de la laïcité sont importants, avec une tendance à faire passer des options personnelles pour une règle de droit positif. Les auteurs soulignent que cela peut paraître étonnant chez des personnes chargées d’appliquer le droit. Une nuance est toutefois observée chez les personnes ayant été formées. Comme quoi la formation a du bon pour prendre conscience d’une connaissance parfois erronée de la portée juridique du principe de laïcité et agir en toute connaissance de cause !
Des pistes de réflexion essentielles pour orienter les formations
Les pistes de réflexion portent sur la posture de neutralité ainsi que sur le cadre de la laïcité.
En termes de posture professionnelle, l’obligation faite d’une stricte neutralité concerne tous les professionnels exerçant une mission de service public. Dans le domaine de la justice, à la neutralité s’ajoutent les principes d’indépendance et d’impartialité (acte de juger fonction des arguments lors des débats, défense loyale, application d’une décision non discriminatoire). Parfois, la tentation de refuser de prendre en compte des faits en lien avec le religieux t forte, et peut faussement s’envisager au nom de la laïcité. Or, la posture de neutralité implique d’abord, nous disent les auteurs, de se confronter au fait religieux lorsque c’est nécessaire… en considérant les règles de la laïcité ! Les acteurs doivent pouvoir écouter l’usager exprimant sa conviction, sans avoir le faux sentiment qu’une telle attitude viole la neutralité exigée. Et non, dialoguer en adoptant une posture neutre n’est pas du tout antinomique, à condition de ne pas discuter du bien-fondé des convictions et de ne pas répondre avec des arguments d’ordre religieux. Les auteurs mentionnent que c’est un point crucial pour accomplir sa mission dans le respect du droit applicable. Mine de rien, dire cela implique de connaître son rapport personnel à la laïcité et à la religion… ce qui nécessite un travail sur son histoire et son identité propres afin de tomber dans l’écueil de faire passer des convictions individuelles pour une règle juridique.
En termes de cadre de la laïcité, les recommandations portent tout d’abord sur l’importance d’anticiper, en acceptant de prendre du temps sur ces sujets. Ensuite, mettre en application les règles juridiques hors croyances et convictions nécessite de se connaître pour ne pas interférer avec la règle commune. D’où la nécessite d’être formé, et bien formé. Enfin, favoriser la cohérence paraît essentiel à ce que l’usager comprenne clairement les règles qui s’appliquent. Il est ainsi important de favoriser la collégialité sur ces questions et d’avoir une jurisprudence cohérente. En cas de contradictions, le conseil est de se référer à ce que dit la plus haute juridiction (donc surtout la jurisprudence du Conseil d’Etat).
Les auteurs insistent sur une posture professionnelle adéquate pour gérer le fait religieux, obtenue à l’aide d’une solide formation juridique et historique sur le principe de laïcité. Cette posture n’implique pas d’abandonner ces convictions, qu’elles soient d’ordre philosophique, politique ou religieux. Elle implique en revanche de ne pas les exprimer et de ne pas les invoquer pour traiter la situation.
L’enjeu rappelé dans le rapport de recherche, à renouveler sans cesse, est bel et bien d’assurer une séparation et un affranchissement de l’ensemble des pouvoirs ou fonctions publics de toute influence religieuse, afin de sauvegarder la liberté de conscience et l’égalité.