Quelle place pour la mort et la spiritualité dans les EHPAD du « monde d’après » ?
La période inédite dans laquelle nous avons été brutalement plongés depuis la mi-mars nous rappelle, entre autres, que des personnes meurent en EHPAD. Somme toute, cela paraît normal, ces établissements étant des institutions dont l’objectif général est d’héberger et de soigner des personnes très âgées, fragiles, polypathologiques, en majorité affectées par des maladies neurodégénératives. Ces personnes ont d’ailleurs bien souvent conscience que l’établissement dans lequel elles résident constitue leur dernière demeure avant leur décès. « Vous savez, nous, ici, on sait qu’on va claquer ! » me confiait récemment l’une d’entre elles.
L’accompagnement de fin de vie est le rôle des EHPAD
D’un point de vue social, la mort a encore et toujours tendance à être vécue comme un événement anormal, à plus forte raison quand elle concerne un nombre important et quotidien de personnes, même très âgées. Nous constatons que les EHPAD sont des lieux de fin de vie, ou à tout le moins (pour ceux qui voudraient chipoter sur la durée exacte de la fin de vie) des lieux où des personnes vivent leur dernière période de vie. Or, d’un point de vue social, la mort, c’est la fin de la vie. Ce n’est plus comme cela était auparavant le passage vers l’au-delà.
Les EHPAD ont ces dernières années peaufiner leur image pour ne pas être considérés comme des mouroirs (comme pouvaient l’être les hospices qu’il a fallu « humaniser » à la fin du vingtième siècle), misant notamment sur une qualité de vie sur les plans physique et psychique, avec une palette d’activités , à l’instar des récents Pôles d’activités et de soins adaptés (PASA). De surcroît, le fait que ces établissements se prétendent médicalisés tendraient même à faire croire en une prise en charge qui permettrait aux bénéficiaires d’en sortir vivants ! Au quotidien, les directions et personnels d’aide et de soin de ces établissements savent pourtant bien que les résidents échappent d’une certaine manière aux médecins (dans le sens où aucune guérison n’est à attendre) et que les tâches essentielles visent à accompagner les résidents du mieux qu’ils peuvent jusqu’à la fin de leur vie.
Si l’accompagnement dont il est question au quotidien en EHPAD se prétend global, il lui faut considérer trois dimensions intimement liées : physique, psychique et spirituelle. Or, la dimension spirituelle de l’accompagnement, dimension propre à chaque individu porteur de croyances et de convictions relatives à la mort, est peu considérée d’un point de vue institutionnel. En pratique, les soignants peuvent souvent être laissés seuls et se sentir démunis face aux questions suscitées par le rapport à la mort, la religion, ou plus largement ce qui relève de la spiritualité. C’est pourtant une caractéristique essentielle de l’accompagnement de fin de vie.
L’état d’urgence sanitaire renforce le rôle d’accompagnement des soignants et leur confrontation à la mort
La responsabilité de ce travail d’accompagnement des soignants se trouve renforcée en période de crise sanitaire et de confinement imposé liés au virus SARS-Cov-2. En effet, le respect de mesures strictes et certainement nécessaires visant à éviter la propagation du virus fait reposer le lien social quasi-exclusivement sur les personnels d’aide et de soin. Ils se retrouvent ainsi presque les seuls à être exclusivement et quotidiennement en lien direct avec les résidents. L’accompagnement de fin de vie doit s’exercer dans ce nouveau cadre subi.
Les soignants des EHPAD et autres établissements médico-sociaux font également partie des personnels d’aide et de soin les plus directement touchés par les décès liés à la maladie Covid-19 : près de 38 % de l’ensemble des décès connus liés à cette maladie a eu lieu en EHPAD et autres établissements médico-sociaux (au 17 mai 2020 : 10 650 décès en EHPAD et EMS, 17 589 décès à l’hôpital).
Dans ce contexte inédit, les morts en EHPAD sont des morts particulières. Celles liées directement à la maladie Covid-19 le sont sans doute encore davantage, appartenant non plus à l’entourage et le cas échéant aux Eglises, mais à l’administration : l’instauration de l’état d’urgence sanitaire a impliqué notamment l’interdiction de visite dans les EHPAD à la mi-mars (mesure sur laquelle le gouvernement est revenu, avec la possibilité de visites sous conditions) suivie de l’interdiction par décret depuis le 1er avril 2020 de la toilette mortuaire et l’obligation de mise en bière immédiate. Ces dernières dispositions annihilent d’une certaine manière toute symbolique liée au décès, au passage dans l’au-delà pour les croyants, pourtant ô combien nécessaire pour les vivants.
Sans la spiritualité, la déshumanisation
Tout se passe comme si la gestion de la crise sanitaire ne laissait plus vraiment de place aux morts dans la société et, par ricochet, au monde d’après, tant pour les vivants que pour les défunts, rendant impossible l’accompagnement des familles endeuillées (comme en témoignent les ministres du culte dans cette émission) mais aussi celui des personnels d’aide et de soins des EHPAD… eux-mêmes en posture d’accompagnement en raison de la nature de leur travail. A défaut d’être inédit, ceci est problématique, comme l’a remarqué à raison le Conseil Consultatif National d’Ethique. (L’administration est depuis revenue uniquement sur l’interdiction des visites en EHPAD.)
Abdennour BIDAR, philosophe et membre de l’Observatoire de la laïcité, a récemment rappelé que « l’être humain est pleinement humain quand en lui le corps et l’esprit sont considérés à égalité de droits » (voir ici pour l’article publié début mai).
Nous nous inscrivons pleinement dans cette pensée et estimons que ne pas considérer la mort et la spiritualité en EHPAD, tant pour les résidents que pour les soignants, c’est participer à la déshumanisation de ces établissements.
Les soignants sont en première ligne pour répondre aux besoins d’ordre spirituel des résidents des EHPAD. Eux-mêmes peuvent éprouver ce type de besoin, à titre professionnel comme à titre personnel. Au niveau national, la maladie Covid-19 a eu pour effet de faire mentionner par le gouvernement l’existence de ce type de besoin (voir ici le communiqué de presse du ministère de l’Intérieur à ce propos). Cette mention est en soi un signe positif, même si le spirituel a tendance à se réduire au religieux et que nous ne savons pas apprécier si cette initiative a réellement facilité la mise en relation de ceux qui le souhaitent avec un représentant des cultes (soit via un numéro vert, soit par le biais des équipes des établissements de santé et des professionnels médicaux).
Quoi qu’il en soit, avoir accès à un ministre du culte est nécessaire mais pas suffisant pour affronter au quotidien la question de la fin de vie et de la mort. C’est pourquoi il nous paraît crucial de proposer aux soignants un travail visant à faire le point sur leur propre rapport à la mort, à connaître les bases des principales religions et spiritualités, et en particulier les principaux rites religieux et spirituels en fin de vie. Sans cela, comment serait-il possible d’aborder et d’affronter la question de la fin de vie et de la mort ? Comment serait-il possible de bien faire son travail et d’accompagner les résidents dans leur globalité ? Car envisager le travail dans le « monde d’après », c’est envisager un travail qui ait du sens.
Je publie ici, avec son accord, les commentaires d’une gériatre praticien hospitalier en EHPAD et USLD d’un CHU d’une métropole régionale.
Bonjour Sébastien,
Que tout cela est vrai !!
Nous avons été en USLD […] une « unité COVID » dès la mi Mars! Nous sommes « habitués » à gérer des épidémies (grippe, GEA): l’isolement, les virocults…….. les soignants connaissent mais cette expérience est toute autre avec la crainte pour soi-même, pour sa famille, pour ses collègues, pour les résidents et leur famille……….. Ce n’était plus un lieu de vie mais un lieu de soin = champ de bataille avec des matériels +++ dans les couloirs et des chambres en isolement dans lesquelles nous rentrions avec surblouse, lunettes, masques canard face à des résidents affaiblis et souvent déments!!!
La mort a fait son irruption toujours brutalement dans des tableaux de détresse respiratoire aigüe que nous prenions en charge avec les « drogues » à notre disposition et le professionnalisme des soignants. Pas le temps d’appeler le prêtre ou l’imam, le temps tout de même d’appeler la famille qui venait ou pas selon son souhait. La mort venue, les soignants ne peuvent habiller les résidents comme à leur habitude et elles expriment le fait de ne pas les avoir accompagnés jusqu’au bout comme d’habitude. Les familles sont dévastées ne souhaitant pas venir ou venant mais découvrant leur proche dans une housse blanche. Pas simple de « reposer en paix » pour le défunt ! Pas simple de faire son deuil pour les familles ! Pas simple de faire son deuil pour les soignants !
Le temps a passé et nous reprenons nos entrées…………..
Voilà ce que ton écrit m’a amenée à écrire à mon tour !