Vieillir en bonne santé, sans spiritualité ?
La stratégie globale pour prévenir la perte d’autonomie pour la période 2020-2022 constitue un axe central de la politique du Gouvernement français en matière de grand âge. Un projet de loi devrait voir le jour d’ici la fin de l’année. Etant donné les perspectives démographiques, les enjeux financiers d’une réforme globale des politiques en faveur du grand âge et de l’autonomie sont loin d’être neutres pour l’Etat, donc pour tous les citoyens.
Il s’agit à la fois de 1/prévenir les pertes d’autonomie (ce qui commence dès 40-45 ans) afin de réduire autant que faire se peut globalement leur niveau de dépendance et 2/de prendre en charge les citoyens en perte d’autonomie.
Dans un cas comme dans l’autre, l’accent est mis, comme à l’accoutumée, sur les dimensions physique et psychique de tout un chacun. La bonne santé passe par la prévention de la perte d’autonomie, avec des comportements à favoriser pour limiter ou repousser l’apparition de troubles physiques (équilibre, perte de poids, fatigue inexpliquée, diminution de l’activité, incontinence), psychiques (mémoire défaillante, dépression, angoisse, …) et comportementaux (hygiène, isolement, humeur, …). Lorsque ces troubles apparaissent, il est possible en partie de les pallier, jusqu’à un certain point.
Nous déplorons toutefois que la stratégie globale pour prévenir la perte d’autonomie ne prenne en considération que les dimensions physique et psychique des citoyens, et oublie leur dimension spirituelle (pouvant s’exprimer à travers la religion mais ne s’y restreignant pas).
Agir sur tous les déterminants de la santé, c’est notamment agir sur la dimension spirituelle des citoyens. Protéger sa santé grâce à la prévention, c’est protéger son autonomie à long terme, à condition d’envisager une action globale : physique, psychique et spirituelle.
De ce fait, l’auto-évaluation des besoins des citoyens concernés devrait notamment passer par l’évaluation des besoins d’ordre physique, psychique, et spirituel. Nous verrons si cela est pris en compte dans l’application que Santé publique France doit développer et mettre en ligne d’ici fin 2020.
Comme est envisagée la facilitation la plus large possible de l’accès à une activité physique adaptée, il devrait également être envisagée la facilitation la plus large possible à l’accès à une activité spirituelle adaptée.
Il existe déjà de nombreux exemples montrant que cette dimension est importante chez les citoyens français. Il faudrait que l’Etat soit capable d’en réaliser un état des lieux et, à terme, d’en évaluer l’impact sur l’état de santé. Le travail a déjà commencé nous semble-t-il, avec notamment un colloque au ministère de la Santé et des Solidarités en juin 2019 sur la thématique de la méditation de pleine conscience : https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/evenements/article/interventions-basees-sur-la-pleine-conscience-sciences-sante-et-societe-lever
De notre côté, nous avions proposé des pistes de réflexion dans le rapport qu’Olivier de LADOUCETTE avait remis en 2011 à Nora BERRA, alors secrétaire d’Etat chargée de la Santé. Il y était notamment question d’encourager le développement de la spiritualité chez les seniors.
Ce rapport est disponible sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_Bien-etre_et_sante_mentale_des_atouts_indispensables_pour_bien_vieillir.pdf
P.S. à propos du terme spiritualité : comme le rappelle notamment Michel FROMAGET, anthropologue et maître de conférences à l’université de Caen, la tripartition anthropologique corps – âme – esprit, ou autrement dit physique – psychique – spirituelle constitue une donnée humaine fondamentale, présente dans toutes les sociétés. Part numineuse de l’individu, tel que défini par Rudolf OTTO (Le Sacré, 1917) en tant qu’ « élément non rationnel dans l’idée de divin et sa relation avec le rationnel » et repris notamment par Carl Gustav JUNG, la spiritualité peut s’exprimer à travers la religion mais ne s’y restreint pas. Elle englobe de ce fait les expériences vécues, croyances et pratiques associées à ces croyances : à la fois expériences, croyances et pratiques instituées dans le cadre de religions reconnues par l’Etat, concernant en majorité les aînés de notre société, davantage marqués par la prédominance du catholicisme, mais également des expériences, croyances et pratiques hors cadres religieux traditionnels, concernant des générations élevées pour la plupart dans le christianisme mais entreprenant des démarches à même de les faire progresser dans leur quête de sens et qualifiant eux-mêmes leur démarche de spirituelle. La dernière enquête d’envergure à ce propos en France est celle conduite par le Groupe d’Etudes « Recherches et Pratiques Spirituelles aujourd’hui » (GERPSE) associé à l’université de Strasbourg. Elle est synthétisée dans l’ouvrage suivant : BARBIER-BOUVET J.-F., Les nouveaux aventuriers de la spiritualité. Enquête sur une soif d’aujourd’hui, MédiasPaul, 2015