Valeurs de la République, laïcité et « radicalisation » : quels liens ?

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2 réponses

  1. Bonjour,
    Adresser « un discours clair et sans équivoque sur ce qu’est la laïcité » est à mon avis forcément ultrasimplificateur, voire mensonger : cette notion est complexe et ses évolutions récentes dans la loi et la jurisprudence françaises y contribuent. De nombreux auteurs universitaires relèvent des contradictions importantes entre la loi de 1905 et celle de 2004 et perçoivent, arguments expérimentaux à l’appui, cette dernière comme promouvant « une doctrine s’opposant aux religions, et en particulier à l’islam » – les sujets suivant vos formations ne sont donc pas les seuls à concevoir cela comme ça. En effet cette dernière loi, mettant en avant une égalité [d’apparence vestimentaire] entre les sexes, relègue ainsi à un plan inférieur l’égalité entre les religions – qui est pourtant au cœur de la conception initiale de laïcité de l aloi 1905 – et, de facto, la tolérance envers les religions non catholiques, affectant par là les valeurs de solidarité et de fraternité. Il me semble logique qu’une laïcité ainsi promue puisse contribuer aux phénomènes de radicalisation islamique car la littérature scientifique montre également que discrimination et radicalisation forment des cercles vicieux. Voici quelques références pour approfondir ces points :
    Roebroeck, É., Guimond, S., 2016. Pour une psychologie sociale de la laïcité : Identification et mesure de deux conceptions distinctes de la laïcité. Année Psychol. Vol. 116, 489–518.
    Massignon, B., 2000. Laïcité et gestion de la diversité religieuse à l’école publique en France. Soc. Compass 47, 353–366.
    Hagège, H., & El Ourmi, M. (2018). De la prévention primaire des radicalisations violentes à l’éducation à la santé pour la responsabilité. Trayectorias Humanas Trascontinentales, 4.
    Lemaire, E., 2016. La laïcité « répressive » : l’exemple du traitement de l’affaire Baby Loup au parlement, in: Gireaudeau, G., Guerin-Bargues, C., Haupais, N. (Eds.), Le fait religieux dans la construction de l’Etat. A. Pedone, pp. 131–135.
    Hennette Vauchez, S., 2016. Séparation, garantie, neutralité… les multiples grammaires de la laïcité. Nouv. Cah. Cons. Const. 53, 1–7.
    Kanga-Mebenga, F.N., 2014. Béatrice Mabilon-Bonfils, Geneviève Zoia, La laïcité au risque de l’Autre. Lectures.

    Bien cordialement… et bon courage pour « votre » formation ! (qui part de bonnes intentions, certes, mais attention, vous savez ce qu’on dit sur le pavement qui mène à l’enfer…)

  2. Sébastien dit :

    Bonjour,

    Merci pour vos réactions.

    Il me semble qu’énoncer clairement ce qu’est la laïcité est important et tout à fait faisable dans le cadre des formations mentionnées.

    Certes, les propos rapportés sur le fait que la laïcité est perçue comme s’opposant aux religions peuvent être aussi bien tenus par des étudiants ou professionnels en formation et par des universitaires. Mais pas pour les mêmes raisons. Concernant les étudiants ou professionnels en formation, il est clair que c’est en raison d’une ignorance de ce qu’est la laïcité ou de préjugés et d’amalgames qu’il s’agit de déconstruire. Les universitaires vont eux pointer les incohérences structurelles d’un régime législatif que certaines considèrent comme relativement souple pour s’adapter aux évolutions sociétales.

    Même si elles ne constituent pas le cœur des formations mentionnées, les contradictions entre la loi de 1905 et la loi de 2004 peuvent être importantes à considérer. La jurisprudence la plus récente et les débats universitaires également, et tout formateur devrait être au fait de ces questions, notamment si des réponses précises sont à apporter aux professionnels ou étudiants en formation.

    J’ai conscience que certains universitaires considèrent la loi de mars 2004 comme contraire à la loi de 1905. La loi de 2004 fait de l’espace scolaire public (et pas de l’espace scolaire privé) une exception, confirmant la règle générale d’une laïcité à concevoir en premier lieu comme synonyme de liberté et non de contrainte, à l’opposé d’une laïcité perçue comme une religion civile, à combattre. Vu ainsi, il me semble que, d’un point de vue général (pas uniquement à travers le prisme de la loi de 2004), la laïcité ne peut porter en elle-même une intolérance envers les religions non catholiques, bien au contraire.

    Au-delà des aspects strictement vestimentaires à la base de la loi de 2004 et en particulier le port du voile islamique cristallisant de nombreuses tensions dans notre République médiatique, je pense que l’école devrait notamment être l’occasion pour les élèves d’apprendre à débattre, ce qui suppose la possibilité de faire place à toutes les convictions, de quelque nature qu’elles soient, et notamment les convictions d’ordre religieux. En pratique, tout dépendra des professeurs qu’il y a devant les élèves (en particulier ceux chargés de l’éducation morale et civique, donc des professeurs d’histoire et de philosophie pour la plupart), de leur conception de la laïcité et de leur capacité à animer des débats sur des sujets sensibles…

    Je ne suis par ailleurs pas sûr de vous suivre quand vous dites que la loi de 2004 « relègue […] à un plan inférieur l’égalité entre les religions » et favoriserait par-là le phénomène de radicalisation islamiste. Certes la loi de 2004 est une exception contraignant les usagers d’un service public à la neutralité vestimentaire. Elle empêche les élèves de se définir religieusement par des signes ostensibles dans les écoles, collèges et lycées publics, mais elle ne les empêche pas de se définir religieusement et de parler de religion ou de spiritualité.

    Je termine ce commentaire en vous disant que le module sur la « radicalisation » a été testé début juillet. Je pourrai y revenir au cours d’un prochain article.

    Bonne fin de vacances à vous, et bonne reprise du travail.

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