La laïcité, c’est la tolérance ?
Quoi de mieux qu’une formation de formateur professionnel d’adultes pour dispenser des formations ? Avec pour thème de passation du titre de formateur professionnel d’adultes la laïcité… quelle idée !!
La formation de formateur professionnel d’adultes
La thématique de la laïcité fait partie des thématiques sur lesquelles je travaille. Afin d’être en capacité de proposer des formations en la matière, j’ai suivi au premier semestre 2017 une formation de formateur professionnel d’adultes [1]. L’objectif de cette formation est d’acquérir les compétences indispensables pour former des adultes.
La vue synoptique de l’emploi-type comprend treize compétences réparties en deux activités-types correspondant à deux certificats de compétences professionnelles, à savoir :
- Préparer et animer des actions de formation (CCP 1)
- Contribuer à l’élaboration de dispositifs de formation et accompagner les apprenants dans leur parcours (CCP 2).
Par ailleurs, si une compétence devait être retenue pour constituer le cœur du métier de formateur, ce serait sans aucun doute la capacité à animer une séance de formation collective. [2]
Au cours de cette formation, cinq semaines de stage dans un organisme de formation m’ont permis d’expérimenter des formations sur la thématique de la laïcité auprès d’apprenants différents, en formation pour passer les titres de Conseiller(ère) en Insertion Professionnelle (CIP), Technicien(ne) Médiation Services et Secrétaire Assistant(e) Médico-Social(e). Ce stage a constitué la matière première m’ayant permis de rédiger le dossier professionnel ainsi que les deux annexes obligatoires pour se présenter au titre : un dossier professionnel dans lequel vous décrivez par des exemples la mise en œuvre des compétences que vous êtes censé acquérir, une annexe portant sur la mise en œuvre.
La passation du titre de formateur professionnel d’adultes
Lors de la passation du titre, les deux jurés composant le jury et choisis par le centre d’examens [3] lisent tout d’abord ces documents, préalablement validés par l’organisme ayant dispensé la formation. Il s’ensuit une évaluation orale des compétences nécessaires à l’exercice du métier de formateur d’une durée de deux heures, suivant un déroulement précisé dans le référentiel de certification et rappelé dans le dossier technique d’évaluation du titre professionnel remis au jury.
Au sortir de cet examen qui s’est déroulé le 12 juin 2017, j’étais relativement optimiste car, de mon point de vue, j’ai pu faire montre des compétences acquises pour exercer ce métier, et en particulier, même si tout était loin d’être parfait, l’élaboration du scénario pédagogique d’une séance, la préparation des ressources nécessaires à l’animation, l’évaluation des acquis des apprenants, l’analyse de mes pratiques professionnelles ou encore l’accompagnement des apprenants dans la construction et la mise en œuvre de leur parcours. Ceci étant, après le passage du titre, j’ai pu faire remarquer aux collègues présents ce jour que la quasi-totalité des questions posées par les jurés portaient sur la thématique de la laïcité. Je ne m’en suis pas plus inquiété et suis reparti plutôt confiant.
Objectif tolérance
Peu de temps après, l’annonce des résultats m’a laissé sans voix : l’obtention du titre professionnel m’a été refusé… Sur le moment, je n’ai pas vraiment compris, et suis resté bouche-bée.
Le soir même, je me suis penché sur les notes prises lors de cet examen, sept pages au total. C’est là que j’ai vu ce moment d’un autre œil. Je vous livre ci-après quelques morceaux choisis.
Je relus notamment que l’un des deux jurés m’a demandé de clarifier l’objectif, ce que j’avais anticipé. L’objectif général était de connaître, comprendre et concrétiser la laïcité dans le cadre de la pratique professionnelle
. Etant donné que l’on vous apprend en formation qu’un objectif doit être défini avec un verbe d’action précis, en respectant le cas échéant la taxonomie de Bloom [4], j’ai estimé qu’il aurait pu être reformulé ainsi : agir en respectant le principe de laïcité et en le faisant respecter
. Cela n’a pas convenu. J’ai alors demandé au jury comment eux auraient formulé cet objectif. J’ai eu pour seule et unique réponse de l’un des deux jurés : Pour moi, l’objectif principal, c’est la tolérance.
Soit. La tolérance était par ailleurs le mot attendu à la question de savoir : si vous aviez à résumer la laïcité en un seul mot, quel serait-il ?
. Je me souviens avoir cité le respect mutuel que ce principe implique, la neutralité pour ce qui concerne l’Etat et l’administration… mais je n’avais pas sorti le mot exact attendu par un juré.
La laïcité, ce n’est pas la tolérance
Après réflexion, je ne pense pas que nous puissions résumer la laïcité à la notion de tolérance. Même s’il peut signifier le fait de respecter les opinions d’autrui et de faire preuve d’ouverture, et en particulier en matière religieuse, ce terme comporte de mon point de vue une dimension condescendante, avec une tendance à ne pas placer les personnes sur un pied d’égalité. Rappelons qu’initialement, le mot est emprunté au latin tolerantia et signifiait action de supporter patiemment des maux
. C’est la raison pour laquelle je lui préfère le terme de respect. D’ailleurs, l’exercice demandé n’a pas de sens. La laïcité n’a pas de synonyme.
J’aurais dû par ailleurs, dès le début de la séance de formation, questionner les apprenants sur leur esprit laïc
. Il me semble que c’est ce que j’ai fait en leur posant la question de savoir à quoi leur faisait penser la laïcité. Débuter ainsi permet de questionner les représentations, préjugés et amalgames. C’est ce que j’ai fait valoir.
La loi elle dit ça. Je m’en fous moi !
Toujours le même juré, le deuxième étant effacé, précise que l’Etat intervient si l’adulte n’est pas responsable. […] La loi, elle dit ça. Je m’en fous moi ! […] On ne légifère que quand les gens ne sont pas adultes ». Que répondre à cela, si ce n’est d’affirmer que la loi doit obligatoirement constituer l’ossature de toute formation sur la thématique de la laïcité. Il n’est pas concevable d’envisager une formation autrement, les (futurs) professionnels devant la connaître et savoir comment elle s’applique en situation pour, le cas échéant, être en mesure de prendre position et d’argumenter en se rapportant à ce qu’elle stipule.
J’ai également noté que je devais me mettre face à mon obligation
[…], aller chercher la sensibilité des gens, les fédérer et leur donner envie d’essayer.
Mon obligation en tant que formateur est que chaque apprenant puisse définir la laïcité, connaître la loi et savoir comment la loi s’applique en pratique. Je n’en perçois pas d’autre. J’ai par ailleurs expliqué longuement dans mes écrits l’attention portée à chaque apprenant et à leur parcours professionnel.
De l’importance du papier-peint
A la fin de l’examen, le juré monopolisant la parole m’a dit : On ne devrait pas faire de formation sur ce thème. […] Tout le monde est concerné. Il faudra 10, 20 ou 30 ans pour changer les choses. […]
… Comment dire ? N’existe-t-il pas aujourd’hui un besoin crucial de pédagogie pour faire connaître ce qu’est la laïcité ? Il a également ajouté : Quand on rentre chez quelqu’un et que le papier peint ne nous plaît pas, demande-t-on à changer ce papier peint ?
.
J’aurais alors dû demander ce qu’il entendait par papier peint
car toute la question est bien entendu là. D’un point de vue républicain, le papier peint, c’est la loi et les valeurs de la République. Il ne peut en être autrement avec un tel principe fondateur du vivre-ensemble.
Résultat du passage du titre le lendemain : titre refusé. Le jury m’a accordé un CCP sur les deux que compte l’emploi-type.
Quoi qu’il en soit, la lecture des notes prises lors de l’examen après l’annonce de ce résultat m’a fait voir ce que je ne voulais pas voir : un jury m’ayant questionné sur la thématique de la laïcité et à aucun moment sur les compétences à acquérir pour exercer le métier de formateur.
Un jury ne questionnant pas sur les compétences à acquérir
Ce n’était pas mon rôle à ce moment précis de questionner les jurés sur leurs connaissances en matière de laïcité. Ce n’était pas le leur non plus. Je devais faire preuve d’une posture témoignant de l’acquisition de compétences. Si c’était à refaire, comment procéderais-je ? De la même manière, à l’exception de deux ou trois maladresses commises lors de ma présentation et mon évolution professionnelle.
La décision des jurés est souveraine. Je n’ai pas pu échanger avec eux suite à la décision prise. Il me reste d’eux les mots suivants de recommandations, écrits sur le document informant au candidat ses résultats : Manque de structure pour atteindre l’objectif final
.
Finalement, je déplore le manque de professionnalisme des jurés et me méfierai dorénavant de ceux prônant la tolérance ! A cet égard, la Direccte Normandie ne devrait pas tolérer des jurés ne tenant pas leur rôle, en l’occurrence évaluer les compétences professionnelles du titre visé.
Un mois et demi plus tard, j’ai repassé le titre. Cela n’a pas été une promenade de santé. J’ai été cuisiné ! Mais cette fois-ci sur les compétences nécessaires à l’exercice de la fonction de formateur. Le titre m’a cette fois-ci été accordé.
[1] Pour davantage d’informations, vous pouvez consulter le résumé descriptif de la certification à cette adresse du Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP 247) : http://www.rncp.cncp.gouv.fr/grand-public/visualisationFiche?format=fr&fiche=247 ou la fiche du Répertoire Opérationnel des Métiers et des Emplois (ROME) K2111 : http://candidat.pole-emploi.fr/marche-du-travail/fichemetierrome?codeRome=K2111
[2] Pour davantage d’informations, voir à ce propos le Référentiel Emploi Activités Compétences (REAC) du titre professionnel : file:///C:/Users/S%C3%A9bastien/Downloads/REAC_FPA_V05_15042013%20(4).pdf
[3] le choix est effectué sur la base de listes établies par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte)
[4] La taxonomie de Bloom est un modèle proposant une classification d’acquisition des connaissances selon six niveaux (connaissance, compréhension, application, analyse, synthèse, évaluation). A chaque niveau correspond des verbes d’action permettant de définir des objectifs. Les niveaux en eux-mêmes peuvent également Elle a été élaborée par des universitaires américains, dont notamment Benjamin Bloom dans les années cinquante.
Je viens de lire le parcours… Bravo camarade d’avoir insisté!